Conflit élargi
Que. la Bulgarie, la Serbie et la Grèce s'ap
prêtent à suivre l'exemple d'u Monténégro
et' à déclarer la (guerre, personne n’en doute
en Europe, quoique les hostilités niaient
pas encor© été oïfloi-elemènt annoncées.
L’incendie va couvrir bientôt toute la ré
gion dés Balkans. .Mais ce que je vais dire
et répéter dès le‘début de cette nouvelle
période du draine, c’est que, si les démocra
tes .sincères de l'Europe ne prenant pas tout
de suite conscience du péril et si le prolé-
' ta niât n’organisé pas immédiatement une
vigoureuse action internationale, le conflit
ne tardera pas à s’élargir, à envelopper L'Eu
jfope 'entière.
Qu’on réessaie pas de se rassurer et d’en
dormir 'les .peuples en alléguant- les enga
gements réciproques des grandes puissan
ces. Comme Le remarquaient hier Les « Dé
bats o), il y a eu, dans le drame qui se_ dé
veloppe, une trop grande part de comédie,
trop d'acteurs ont joué un rôle appris par
ment avec lia- vérité, pour qu’on puisse
prendre au sérieux les assurances qu’échan
gent tes pouvoirs européens. « Intégrité ter
ritoriale; souveraineté du sultan ». Vous
souvenez-vous de ce refrain ? L’avons-nqus
assez entendu à propos d’un autre territoire
que la Turquie, et d'un autre sultan que
celui de Constantinople ?
Et puis, La guerre même en se dévelop
pant pourra permettre à bien des puissan
ces de dire : « J’avais promis ceci; je m’é
tais interdit cela. Mais- iiL y a des faits nou
veaux. Les circonstances ne sont plus Les
mêmes ». Ainsi par exemple la conscience
des diplomates italiens pourra être Libérée,
par la suite des événements, chi scrupule
qui les empêche aujourd'hui de retenir offi
ciellement les îles 'die La mer Egée. Et le
Monténégro s'est montré, par sa déclaration
de guerre à la Turquie, un beau-père de
choix.
Voici dès maintenant par quels procédés
Le conflit pourra être élargi.
1. Si la guerre exaspère encore tes divers
éléments qui luttent déjà en Macédoine, s’il
y a trop de bombes bulgares faisant sauter
dos Turcs et trop de couteaux turcs sai
gnant des Bulgares, L’humanité la plus 'élé
mentaire fera un devoir à un gouvernement
chrétien tfintervenir et d’étendre généreu
sement une nouvelle couche de cadavres sur
tes cadavres qu’il faudra venger. Au besoin,
celui des belligérants qui sera trop pressé
par L’adversaire trouvera quelque moyen
ingénieux et atroce (fagranoir Le conflit.
2. Déjà PAutriche déolare qu’elle est ré
solue à ne pas bouger jusqu’à ce qu’ellte se
meuve. Mais si les Serbes tentent «occuper
lé saudjàtk de Novi Bazar elfe l’occupera.
Notez que si elle l’occupe, la (Russie criera
que 1e pacte international est violé et qu’el
le doit intervenir aussi. Les Serbes sont
donc déjà munis officiellement d’un moyen
sûr de mettre aux prises l’Autriche' et la
Russie, te jour où ils auront intérêt h se
réfugier dans une guerre plus vaste.
3. Il va de soi mie L’Autriche et la Russie
se surveilleront. Elles s'accuseront récipro
quement de mauvais desseins. Et l’une et
Fautre « prendront de® précautions » qui
seront interprétée® de part et d'autre com
me de® .provocation®. Déjà Le® Autrichiens
ont dénoncé des concentrations russes à la
frontière polonaise; et demain, la Russie
constatera que le gouvernement austro-hon
grois demande de® crédits énormes « pour
développer son arme ment ». Et ce sera l’é
temel (dialogue : Moi, je ne 1© menace pas ;
donc, il me menace. Les deux adversaires,
ou, si vous préférez, les deux rivaux lève
ront également tes bras ; mais chacun d’eux
sera convaincu que son geste est défensif,
que lie geste de l’autre est offensif. Ainsi
se préparent à volonté, selon une très vieille
recette, Les bas conflits. Et il arrive même
que tes rivaux sont dupes des cris qul’iLe
poussent, qu’ils s’épouvantent du péril qu’ils
créent et que'La guerre- naît irrésistible
ment de Leur affolement réciproque et de
leur commune stupidité.
Voilà donc sans parler des diplomates, de
leurs roueries, de Leurs vanités, de leurs
rancunes, bien des forces qui travailleront
à «l'élargissement du conflit. Et qu’on re
tienne bien surtout qu’il dépend des belli
gérante eux-mêmes, au moment où ils sen
tiront sur eux l’ombre de la défaite, et quel
que soit le vaincu, de créer une diversion
formidable en agrandissant la guerre, en
appelant sur le théâtre ensanglanté -de
nouveaux acteurs.
Je sais bien que> les mêmes députés fran
çais qui par Leur politique marocaine ont
préparé niaisement (je parle des meilleurs)
la terrible crise présente, essaient de s’en
dissimuler à eux-mêmes La- gravité. « Bah !
ce ne sera rien ». Et comme un mot suffit
aux cerveaux indolents pour se délivrer de
toute pensée, Le mot « localiser » tes ras
sure : « On localisera le conflit ».
Et nous, nous disons que le piu& grand
péril d’aujourd’hui et de demain est dans
cette sécurité épaisse et dans- cette incons
cience. La guerre frappe en ce m-oeannt à
toute© les portes de l’Europe, d’un coup
brutal et retentissant à celle-ci, drun coup
amorti encore et assourdi à celle-là. Stu
pide vraiment qui n’entead pas !
Que Les démocraties s'éveillent, que 'la
prolétariat s’organise.
Jean JAURES.
LA SITUATION
Pari», 10 octobre.
Les dessous de l’affaire monténégrine
font toujours les frais des conversations
dans Les milieux diplomatiques.
La question est d’importance, car oui ver
rait clair dans le jeu balkanique et dans
Le jeu des puissances, si l’on savait qui a
appuyé sur La gâchette.
A Celtigné, tout le monde s’en défend.
On attend avec une impatience fébrile les
•réponses des quatre intéresses aux démar
ches des puissances. *
IL semble qu"on attend 'de celle de ia. For
te quelque influence sur La situation.
On n’est pas toujours fixé ni sur la for
me, ni sur la date de La réponse de La Bul
garie, de .La Serbie et de la Grèce.
Ouvrira-t-elle La porte à des négociations
et à de nouvelle® démarches ? Les derniè
res (nouvelles, non officielles, de Bulgarie
ainsi que les déclarations de M. Guéchof,
président du conseil bulgare, le laisseraient
supposer, si l’an n’était fondé à craindre
que tous les 'gouvernements n’ont pour bui
■que de favoriser La concentration, de trou
pe®.
Sera-t-elle collective, sera-t-elle donnée
ce soin, samedi ou la semaine prochaine ?
Autant de questions, autant d’avis et, dans
1© monde officiel, on ne sait rien, ou on lie
jdiit rien.
Cette incertitude sur la date de la répon
se s’étend forcément à la date d'ouverture
des hostilités, si elle doit avoir lieu, ce dont
on ne paraît plus guère douter.
On compte de plus en plus, en effet, avec
l’irritation -qui grandit tous tes jours, à
jCorii»Unjtiintop.te, avec l’hostilité -manifeste
que rencontre chez les Turcs toute idée de
concession,- 'hostilité telle qu’ellte pourrait
bien aller jusqu'à culbuter 1© cabinet soup
çonné de faiblesse.
On compte de plus en plus, d’autre -part,
avec la .passion qui anime tes Bulgares et
.même les Serbes avec l’effet foudroyant que
produirait, à Sofia et à Belgrade, la chute
Que. la Bulgarie, la Serbie et la Grèce s'ap
prêtent à suivre l'exemple d'u Monténégro
et' à déclarer la (guerre, personne n’en doute
en Europe, quoique les hostilités niaient
pas encor© été oïfloi-elemènt annoncées.
L’incendie va couvrir bientôt toute la ré
gion dés Balkans. .Mais ce que je vais dire
et répéter dès le‘début de cette nouvelle
période du draine, c’est que, si les démocra
tes .sincères de l'Europe ne prenant pas tout
de suite conscience du péril et si le prolé-
' ta niât n’organisé pas immédiatement une
vigoureuse action internationale, le conflit
ne tardera pas à s’élargir, à envelopper L'Eu
jfope 'entière.
Qu’on réessaie pas de se rassurer et d’en
dormir 'les .peuples en alléguant- les enga
gements réciproques des grandes puissan
ces. Comme Le remarquaient hier Les « Dé
bats o), il y a eu, dans le drame qui se_ dé
veloppe, une trop grande part de comédie,
trop d'acteurs ont joué un rôle appris par
prendre au sérieux les assurances qu’échan
gent tes pouvoirs européens. « Intégrité ter
ritoriale; souveraineté du sultan ». Vous
souvenez-vous de ce refrain ? L’avons-nqus
assez entendu à propos d’un autre territoire
que la Turquie, et d'un autre sultan que
celui de Constantinople ?
Et puis, La guerre même en se dévelop
pant pourra permettre à bien des puissan
ces de dire : « J’avais promis ceci; je m’é
tais interdit cela. Mais- iiL y a des faits nou
veaux. Les circonstances ne sont plus Les
mêmes ». Ainsi par exemple la conscience
des diplomates italiens pourra être Libérée,
par la suite des événements, chi scrupule
qui les empêche aujourd'hui de retenir offi
ciellement les îles 'die La mer Egée. Et le
Monténégro s'est montré, par sa déclaration
de guerre à la Turquie, un beau-père de
choix.
Voici dès maintenant par quels procédés
Le conflit pourra être élargi.
1. Si la guerre exaspère encore tes divers
éléments qui luttent déjà en Macédoine, s’il
y a trop de bombes bulgares faisant sauter
dos Turcs et trop de couteaux turcs sai
gnant des Bulgares, L’humanité la plus 'élé
mentaire fera un devoir à un gouvernement
chrétien tfintervenir et d’étendre généreu
sement une nouvelle couche de cadavres sur
tes cadavres qu’il faudra venger. Au besoin,
celui des belligérants qui sera trop pressé
par L’adversaire trouvera quelque moyen
ingénieux et atroce (fagranoir Le conflit.
2. Déjà PAutriche déolare qu’elle est ré
solue à ne pas bouger jusqu’à ce qu’ellte se
meuve. Mais si les Serbes tentent «occuper
lé saudjàtk de Novi Bazar elfe l’occupera.
Notez que si elle l’occupe, la (Russie criera
que 1e pacte international est violé et qu’el
le doit intervenir aussi. Les Serbes sont
donc déjà munis officiellement d’un moyen
sûr de mettre aux prises l’Autriche' et la
Russie, te jour où ils auront intérêt h se
réfugier dans une guerre plus vaste.
3. Il va de soi mie L’Autriche et la Russie
se surveilleront. Elles s'accuseront récipro
quement de mauvais desseins. Et l’une et
Fautre « prendront de® précautions » qui
seront interprétée® de part et d'autre com
me de® .provocation®. Déjà Le® Autrichiens
ont dénoncé des concentrations russes à la
frontière polonaise; et demain, la Russie
constatera que le gouvernement austro-hon
grois demande de® crédits énormes « pour
développer son arme ment ». Et ce sera l’é
temel (dialogue : Moi, je ne 1© menace pas ;
donc, il me menace. Les deux adversaires,
ou, si vous préférez, les deux rivaux lève
ront également tes bras ; mais chacun d’eux
sera convaincu que son geste est défensif,
que lie geste de l’autre est offensif. Ainsi
se préparent à volonté, selon une très vieille
recette, Les bas conflits. Et il arrive même
que tes rivaux sont dupes des cris qul’iLe
poussent, qu’ils s’épouvantent du péril qu’ils
créent et que'La guerre- naît irrésistible
ment de Leur affolement réciproque et de
leur commune stupidité.
Voilà donc sans parler des diplomates, de
leurs roueries, de Leurs vanités, de leurs
rancunes, bien des forces qui travailleront
à «l'élargissement du conflit. Et qu’on re
tienne bien surtout qu’il dépend des belli
gérante eux-mêmes, au moment où ils sen
tiront sur eux l’ombre de la défaite, et quel
que soit le vaincu, de créer une diversion
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appelant sur le théâtre ensanglanté -de
nouveaux acteurs.
Je sais bien que> les mêmes députés fran
çais qui par Leur politique marocaine ont
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la terrible crise présente, essaient de s’en
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ce ne sera rien ». Et comme un mot suffit
aux cerveaux indolents pour se délivrer de
toute pensée, Le mot « localiser » tes ras
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Et nous, nous disons que le piu& grand
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cette sécurité épaisse et dans- cette incons
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toute© les portes de l’Europe, d’un coup
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pide vraiment qui n’entead pas !
Que Les démocraties s'éveillent, que 'la
prolétariat s’organise.
Jean JAURES.
LA SITUATION
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Les dessous de l’affaire monténégrine
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dans Les milieux diplomatiques.
La question est d’importance, car oui ver
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Le jeu des puissances, si l’on savait qui a
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A Celtigné, tout le monde s’en défend.
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et à de nouvelle® démarches ? Les derniè
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ainsi que les déclarations de M. Guéchof,
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supposer, si l’an n’était fondé à craindre
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jdiit rien.
Cette incertitude sur la date de la répon
se s’étend forcément à la date d'ouverture
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on ne paraît plus guère douter.
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l’irritation -qui grandit tous tes jours, à
jCorii»Unjtiintop.te, avec l’hostilité -manifeste
que rencontre chez les Turcs toute idée de
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çonné de faiblesse.
On compte de plus en plus, d’autre -part,
avec la .passion qui anime tes Bulgares et
.même les Serbes avec l’effet foudroyant que
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