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Coups de projecteur - Le roman-feuilleton du 19e siècle, ancêtre de nos séries télé !
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Le roman-feuilleton du 19e siècle, ancêtre de nos séries télé !

Le roman-feuilleton, ancêtre de nos séries télé préférées, a connu un grand succès populaire au 19e siècle. Ce genre littéraire a donné naissance à de grandes fictions encore célèbres aujourd’hui, telles qu'Arsène Lupin, La Porteuse de painLe Comte de Monte-Cristo ou encore Les Trois Mousquetaires.

Le roman-feuilleton : késako ?

Le roman-feuilleton est une création du 19e siècle : il s’agit d’un roman populaire publié sous forme d’épisodes dans un journal. Tout comme le roman épistolaire, cette catégorie de roman se caractérise par sa forme et non par son fond. A l’origine, le « feuilleton », ou « rez-de-chaussée », est un terme technique utilisé pour désigner le bas des pages d’un journal quotidien. Cette pratique se développe surtout dans les années 1830. Au cours du siècle, l’utilisation de cette rubrique se spécialise : on y fait paraître des extraits littéraires, puis des nouvelles, et enfin des romans publiés par tranches.

En 1836, un premier roman est publié en feuilleton : La Vieille Fille d’Honoré de Balzac, qui paraît dans le journal La Presse en octobre et en novembre de cette année.

La Vieille Fille, Balzac, La Presse, 1836
La Vieille Fille par Honoré de Balzac, La Presse, 23 octobre 1836 - Gallica

La même année, entre juillet et septembre 1836, des extraits de La Comtesse de Salisbury d’Alexandre Dumas sont publiés dans La Presse en feuilleton, sans que la cohérence romanesque ne soit présente (elle n’apparaîtra qu’à la publication du roman en volume en 1839). Entre 1836 et 1840, la majorité des fictions publiées sous forme de « feuilleton » sont des nouvelles ou des contes complets en une seule livraison. Pourtant, petit à petit, des œuvres de fiction moins courtes font leur apparition : de longues nouvelles sont publiées en plusieurs épisodes, puis finalement des romans découpés en nombre d’épisodes toujours plus grand. 

La Dépêche, 02 février 1882
"La suite au prochain numéro" : La Dépêche : journal quotidien, 2 février 1882 - Rosalis

Au départ, ce mode de publication était pensé comme une première présentation de l’œuvre au public en épisodes avant une publication en volume. Le choix des chapitres présentés et le découpage de l’œuvre étaient donc postérieurs à l’écriture. Par la suite, certains textes sont écrits spécifiquement pour ce mode de publication : souvent longs, ce sont des romans populaires qui exploitent le suspens des interruptions programmées et n’hésitent pas à rajouter des péripéties et à réutiliser des personnages populaires d’un roman à l’autre, tel Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. 

Chéret, Les Trois mousquetaires
Jules Chéret, Les Trois mousquetaires par Alexandre Dumas, affiche, 1887 - Gallica

Le public prend goût à ce mode de publication et le roman-feuilleton va rapidement contribuer à faire vendre davantage de journaux, même s’ils essuient par ailleurs des critiques en raison de leur manque de style et de leur goût du sensationnalisme. En même temps qu’il se développe, le genre se formalise. Ce mode de publication est tout à fait normalisé à partir des années 1840-1850 et il poursuit son succès sous la IIIe République, poussé également par le développement de la presse de masse et de l’édition populaire. L’âge d’or se situe vers 1875, poussant aussi les auteurs à une course effrénée à la concurrence. Preuve de son vif succès, les romans-feuilletons vont rapidement être publiés aussi bien dans la presse parisienne que dans la presse régionale. 

A Toulouse, plusieurs grands titres publient régulièrement des romans-feuilletons. C’est le cas du Journal de Toulouse, avec par exemple la publication des Catacombes de Paris d’Elie Berthet en 1856.

Autre exemple en 1882, La Dépêche publie Le trou de l’enfer d’Alexandre Dumas.

Ou encore, en 1891 Sud-Ouest publie La comtesse Hélène par Charles Mérouvel.

Les feuilletonistes les plus célèbres

Honoré de Balzac (1799-1850)

Honoré de Balzac, par Nadar

Avec La Vieille Fille (1836), on considère que le premier roman-feuilleton est d’Honoré de Balzac, le célèbre écrivain de La Comédie Humaine. Presque tous les romans édités en volumes sous ce titre, ont été d’abord publiés dans la presse sous forme de feuilletons dans les années 1830 et 1840, comme par exemple La Cousine Bette.

 

Eugène Sue (1804-1857)

Eugène Sue, estampe

Eugène Sue publie ses premiers textes dans des journaux, notamment La Nouveauté et Le Kaléidoscope. Il est l’auteur de romans d’aventures comme Kernok le pirate mais ses plus grands succès sont des romans de mœurs qui s’intéressent à la misère de son temps et aux conflits de classe. Son chef-d’œuvre en la matière demeure Les Mystères de Paris, premier véritable succès du roman-feuilleton dont les épisodes sont publiés du 19 juin 1842 au 15 octobre 1843.

 

Alexandre Dumas (1802-1870)

Alexandre Dumas, par Nadar

Alexandre Dumas est un des feuilletonistes le plus célèbre encore aujourd’hui. Auteur de romans, de pièces de théâtre ou encore d’article de presse, il est un auteur prolifique. Son roman, La Comtesse de Salisbury fait partie des premiers romans publiés en feuilletons. Mais ses textes les plus populaires sont Les Trois Mousquetaires et Le Comte de Monte-Cristo.

 

Jules Verne (1828-1905) 

Jules Verne, par Nadar

Jules Verne est le père de deux types de roman : le roman d’anticipation qui imagine ce que pourraient devenir les inventions de la révolution industrielle ; et le roman de voyage qui profite de l’ouverture des échanges mondiaux pour inviter ses lecteurs à voyager. Ses œuvres les plus célèbres sont Vingt milles lieux sous les mers et Le Tour du monde en 80 jours. Beaucoup de ses textes ont paru dans la presse comme Le Journal des débats ou dans des journaux destinés à la famille ou à l’éducation.

 

Ponson du Terrail (1829-1871)

Ponson du Terrail, carricature par Nadar

Presque oublié aujourd’hui, le vicomte Ponson du Terrail était pourtant l’un des auteurs les plus populaires du 19e siècle. Il est notamment le créateur du personnage de Rocambole, qui a inspiré la création de l’adjectif « rocambolesque » pour désigner des évènements ou des péripéties incroyables. En dehors du cycle de Rocambole, il publie des romans historiques (La jeunesse du roi Henri, Les amours d’Henri IV, etc) ou des récits se déroulant dans la région d’Orléans (Le Chambrion, etc), où il a vécu.

 

Paul Féval (1816-1933) 

Paul Feval, par Nadar

Paul Féval est connu pour son premier roman-feuilleton publié dans Le Courrier Français : Les Mystères de Londres, une imitation des Mystères de Paris d’Eugène Sue. Il est également l’auteur de romans de capes et d’épées et de romans historiques comme Le Bossu ou Le joli château de Coquerel. Dès 1850, Paul Féval fait partie du peloton de tête des feuilletonistes populaires avec Ponson du Terrail et Alexandre Dumas. 

 

Xavier de Montépin (1823-1902)

Xavier de Montépin, par Nadar

Aristocrate, Xavier de Montépin débute sa carrière de feuilletoniste sous l’Empire, où il publie de façon régulière dans plusieurs petits journaux sans pour autant connaître le succès de Ponson du Terrail ou de Paul Féval. De sa carrière prolifique, on retient surtout La porteuse de pain, histoire d’une femme innocente accusée et persécutée. Ses romans continuent d’être publiés dans la presse du début du 20e siècle, comme Le secret du Titan publié dans la Dépêche en 1912.

 

Pierre Decourcelles (1856-1926)

Pierre Decourcelles, par Nadar

Pierre Decourcelles publie son premier roman, Le chapeau gris en 1886. Son roman Fanfan, publié dans le Petit Parisien le rend populaire auprès du grand public. Auteur de romans sociaux, il dépeint la société de son temps dans Le crime d’une sainte, Le curé du Moulin-Rouge, Les ouvrières de Paris ou encore Fille d’Alsace.

 

Charles Mérouvel (1832-1920)

Cet avocat est venu tardivement à la littérature, à l’âge de 42 ans. Ses romans paraissent dans La Petite République française puis dans Le Petit Parisien. Ils se déroulent essentiellement dans la haute société (La veuve aux cent millions, Confession d’un gentilhomme, Chaste et Flétrie, etc). Ses œuvres se concentrent sur les thèmes du conflit amoureux et des luttes de la passion.

Les principaux genres

Au fur et à mesure que le roman-feuilleton se développe, certains genres s’épanouissent particulièrement. Ce qui marque le point commun entre tous ces romans - hormis leur forme - est la conception dramatique : dans tous les cas il s’agit d’un roman riche en rebondissements, coups de théâtre et passions excessives, axé sur un héros populaire. C’est l’aventure qui domine, que celle-ci se déploie dans le monde moderne, dans le passé ou bien ailleurs qu’en France.

 

Le roman social ou roman de mœurs contemporaines

La porteuse de pain par Montepin, affiche
Anonyme, La porteuse de pain... par Montépin, affiche - Gallica

Il s’agit du genre dominant. La grande référence en la matière reste Balzac, dont la fresque sociale réaliste servira de modèle à d’autres auteurs. C’est grâce à l’arrivée de nouveaux lecteurs de journaux, issus d’une frange plus populaire, que la représentation romanesque du peuple se fait plus massive et se modifie : le peuple ouvrier, le monde paysan de même que la province occupent désormais également la scène du roman-feuilleton. Ces personnages populaires sont intégrés dans le tableau idéal d’une société bourgeoise et contrôlée par les élites. A partir de 1900, ils sont désignés par l’expression « roman sentimental ». 

Exemple de roman social dans Rosalis : Antonia la bohémienne par Ponson du Terrail, Les Romans illustrés, 1875.

 

Le roman policier

Montepin, Mystères du Palais Royal
Jules Chéret, Les Mystères du Palais-Royal par Xavier de Montépin, affiche, 1884 - Gallica

Gaboriau implante un nouveau genre dans les années 1860 : le roman judiciaire, qui devient un peu plus tard le roman policier. Il publie notamment L’affaire Lerouge en 1865 qui lance sa carrière. Ces romans s’attachent à la résolution d’une énigme, ils sont centrés sur le crime, l’enquête et la poursuite du criminel. Mais on retrouve également des romans criminels qui content les exploits de bandes criminelles organisées et leur combat contre la police.

Exemple de roman policier dans Rosalis : Les Mystères du Palais-Royal par Xavier de Montépin, Les Romans illustrés du samedi, 1875.

 

Le roman historique

Les romans-feuilletons ayant un cadre historiques sont principalement des imitations de romans historiques célèbres, comme ceux de Walter Scott, d’Eugène Sue ou de Dumas.

Chéret, Les mystères de Paris, 1885
Jules Chéret, Les Mystères de Paris par Eugène Sue, affiche, 1885 - Gallica

Les romans ont notamment pour cadre la Révolution Française ou l’époque napoléonienne. Certains auteurs prolongent la vie des héros populaires : ainsi Paul Mahalin se spécialise dans les suites de Dumas (Le fils de Porthos en 1883, D’Artagnan en 1890, Le filleul d’Aramis en 1896, etc). Paul Féval écrit également un D’Artagnan contre Cyrano. Plus particulièrement, le genre de « cape et d’épées » connaît un vif succès.

Exemple de roman historique dans Rosalis : Les amours d’Henri IV par Ponson du Terrail, Les Romans illustrés, 1875 

 

Le roman maritime et exotique

Le tour du monde en 80 jours par Jules Verne, affiche 1886
Théâtre du Châtelet. Le Tour du monde en 80 jours, affiche, 1886 - Gallica

Le roman maritime, dont les aventures et passions se déroulent en mer et sur ses rivages, a émergé dès les débuts du roman-feuilleton. Ainsi par exemple, Eugène Sue publie dès 1830 Kemok le Pirate. Le roman d’aventures exotiques se développe plus tard, principalement entre les années 1875 et 1900. La colonisation inspire les auteurs dont les héros voyagent en Afrique (Le lion du Soudan de Louis Noir), en Asie (Les thugs ou étrangleurs de l’Inde de Germain de Lagny) et en Amérique (La forêt vierge de Gustave Aimard), comme dans les romans de Jules Verne, qui servent de modèle à ce genre qui reste cependant marginal. Ils sont publiés dans des revues spécialisées de voyages et de vulgarisation scientifique comme Le Journal des Voyages

Exemple de roman exotique dans Rosalis : La cabane de l’oncle Tom par Mme Harriet Beecher Stowe (traduction MM. L. de Wailly et E. Terier), Journal de Toulouse, 25 février 1853

 

Le roman de d’anticipation et de science-fiction

Le roman d’anticipation et de science-fiction prend son essor au début du 20e siècle, même s’il a commencé à se développer dès les années 1870 dans des revues spécialisées. Publiés dans des grands quotidiens comme Le Matin ou Le Journal, ces romans insistent sur les dangers de la science et des progrès techniques. Apparaît alors le personnage du savant fou, tout-puissant par la science et destructeur, tel le Mystérieux docteur Cornélius de Lerouge.

Le roman-feuilleton, ancêtre de la série télé ?

Au début du 20e siècle, le roman-feuilleton reste populaire. Cependant, dans l’entre-deux-guerres, la publication sous forme de livre a supplanté celle des épisodes dans les journaux. Les genres populaires du roman-feuilleton deviennent alors autonomes dans le cadre de collections populaires spécialisées : se développent dans la littérature le roman policier, le roman de science-fiction, le roman sentimental, etc.

De même la concurrence avec de nouvelles formes de médias, le cinéma puis la télévision, lui portent un coup fatal. Pourtant, d’un certain point de vue c’est bien grâce à ces médias que le genre a pu perdurer sous une nouvelle forme : le roman-feuilleton a en effet donné naissance à un dérivé, le « feuilleton-cinéma » (dans les années 1910-1920), puis aux sagas cinématographiques et enfin aux séries télévisées.

Fantômas, affiche, 1911
Couverture du premier volume de la série Fantômas par Pierre Souvestre et Marcel Allain, Paris, éditions Fayard, 1911 - Wikimedia Commons

De nombreux feuilletonistes français s’intéressent en effet dès 1910 au cinéma naissant : Decourcelles, s'occupa d'adapter à l'écran les d’anciens romans-feuilletons contrôlés par sa société cinématographique. Ainsi Louis Feuillade et Arthur Bernède adaptent au cinéma le feuilleton littéraire Fantômas en 1913. Belphégor, film muet réalisé par Bernède et Henri Desfontaines, sort en 1926. Dans les années 1920-1930, le déclin du cinéma muet provoque le déclin du « feuilleton-cinéma. » 

Désormais, le cinéma se développe de manière indépendante. Même si son histoire reste toujours liée à celle de la littérature, de nombreux romans étant encore adaptés au cinéma. Aujourd’hui, de nombreuses sagas cinématographiques sont des grands succès populaires : on pense par exemple à Star Wars, Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux, etc. 

Affiche série Lupin 2021 ; Affiche Arsène Lupin 1909
Affiche de la série « Lupin », Paris, 27 janvier 2021 © Wikimedia Commons ; Affiche « Arsène Lupin » pour la Tournée de l’Athénée, peinte par H.-E. Rudaux, 1909 - Wikimedia Commons

A partir des années 1960, puis surtout dans les années 1990, un nouveau genre émerge : les séries télévisées. Ces fictions, constituées d’épisodes répartis en saisons, permettent aux spectateurs de suivre les mêmes personnages dans une histoire qui se poursuit d’épisodes en épisodes. A la manière des « la suite à demain » à la fin du feuilleton du 19e siècle, nous attendons avec impatience la suite des aventures de nos personnages préférés à la fin de chaque épisode et du fameux « à suivre... » Le triomphe actuel des plateformes numériques, poussées par leur catalogue de séries, prouve le succès d’un genre en mutation. Certains romans-feuilletons connaissent d’ailleurs au 21e siècle un grand succès grâce à leur adaptation en séries de films ou en séries télévisées. Ainsi la série française Lupin inspirée des aventures d’Arsène Lupin est l’un des plus grands succès de Netflix.

 

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