bandeau
Emilie du Châtelet
categorie
Coup de projecteur
titre

Emilie du Châtelet ou la détermination d’une femme de sciences

Connaissez-vous la remarquable Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet (Paris, 1706- Lunéville, 1749) ? Amie des Lumières aux côtés de Voltaire, cette incroyable femme du 18e siècle est parvenue à se faire une place auprès des plus grands scientifiques de son époque dans un domaine presque exclusivement masculin. Voici son récit…

Fille de Louis Nicolas Le Tonnelier, baron de Breteuil, officier introducteur des Ambassadeurs à la cour de Louis XV et de Gabrielle-Anne de Froulay, issue d’une famille de nobles du Maine, elle est élevée dans un milieu ouvert. Douée pour les études, elle reçoit la même éducation que ses frères : elle apprend le latin, le grec ancien, l’anglais et l’allemand, les mathématiques, la musique, la danse, le théâtre, etc.

Emilie du Châtelet par La Tour
Maurice Quentin de La Tour, Madame du Châtelet à son bureau, 18e siècle, huile sur toile, collection Choisel (WikiCommons)

Elle épouse en 1725 le marquis Florent Claude du Châtelet, qui la laisse vivre librement, occupé lui-même par sa carrière militaire. Le couple aura 3 enfants. En 1732, tandis que son mari participe à la guerre de Succession de Pologne, Emilie du Châtelet s’installe à Paris. Elle prend alors des leçons de mathématiques avec deux savants newtoniens, Moreau de Maupertuis, puis avec Alexis Claude Clairaut, qui reste son mentor et collaborateur jusqu’à sa mort. Pour participer aux débats scientifiques avec ses amis, elle n’hésite pas à s’habiller en homme pour entrer dans le café Gradot, à Paris, interdit aux femmes.

De l'oscillation des pendules
[Gravure issue du chapitre 8 « De l’oscillation des pendules », p. 355, dans] Emilie du Châtelet, Institution de physique, Paris, Prault, 1740, Bibliothèque de Toulouse, Fa D 14670

En 1733, elle rencontre le philosophe Voltaire, qui exilé en Angleterre entre 1726 et 1729 y a découvert les idées de Bacon, Newton et Locke. Leur relation amicale devient amoureuse et ils entretiennent une relation durant 15 ans. Dès 1735, elle l’accueille chez elle, au château de Cirey (dans la Marne), où ils installent une importante bibliothèque avec des instruments scientifiques. Voltaire se montre admiratif de son amie, il loue son intelligence et ses qualités et l’accompagne dans ses recherches scientifiques. En échange, Emilie du Châtelet contribue à la formation scientifique du célèbre philosophe et à une partie de ses travaux littéraires.

En 1737, Voltaire et Emilie du Châtelet participent chacun séparément au concours de l’Académie royale des sciences pour l’année suivante portant sur la nature du feu et sa propagation. Le concours est remporté par Euler, mais la Dissertation sur la nature et la propagation du feu qu’elle a rédigé est saluée et publiée. Il s’agit du premier ouvrage écrit par une femme publié par l’Académie. Il lui donne par ailleurs une légitimité et une place dans la communauté scientifique française.

Dissertation sur la nature du feu
Légende : Emilie du Châtelet, Dissertation sur la nature et la propagation du feu, Paris, Prault, 1744 (Gallica)

 

Elle a aussi contribué à diffuser en France l’oeuvre de Leibniz, notamment en prouvant expérimentalement sa théorie selon laquelle l’énergie cinétique (appelée alors « force vive ») est proportionnelle à la masse et au carré de la vitesse. En 1741 elle publie Les Institutions de physique où elle confronte les points de vue de Descartes, Newton et Leibniz. Cet ouvrage est ensuite traduit en plusieurs langues, dont l’italien, ce qui lui permet d’être élue membre de l’Académie des Sciences de l’institut de Bologne, la seule institution qui acceptait alors en son sein des femmes.

 

Institution de physique
Emilie du Châtelet, Institution de physique, Paris, Prault, 1740, Bibliothèque de Toulouse, Fa D 14670 (Gallica)

Emilie du Châtelet est principalement connue pour sa traduction française de l’œuvre majeure d’Isaac Newton, Philosophiae naturalis principia mathematica (Principes mathématiques de la philosophie naturelle, première édition londonienne en 1687) souvent abrégé en Principia Mathematica qu’elle a commencé dès 1745 mais qui n’est publiée qu’après sa mort. Cette traduction fait encore autorité aujourd’hui et elle est toujours utilisée. Emilie du Châtelet, poussée par Voltaire, ne se contente pas de traduire les textes de Newton, elle refait aussi les calculs scientifiques, qu’elle ajoute sous la forme de commentaires. L’une de ses hypothèses concernant l’inclinaison de la terre, point omis par Newton, est confirmée plus tard par les travaux du physicien Pierre-Simon de Laplace. Voltaire indique dans la préface de l'ouvrage : « c'est un Ouvrage au-dessus de la traduction. Madame du Châtelet y travailla sur les idées de M. Clairaut : elle fit tous les calculs elle-même, et quand elle avait achevé un chapitre, M. Clairaut l'examinait et le corrigeait. »

 

Principes mathématiques Newton
Isaac Newton, Emilie du Châtelet (trad.), Voltaire (préface), Principes mathématiques de la philosophie naturelle, Paris, 1759, Bibliothèque de Toulouse, Fa C 2897 (1-2) (Gallica)

Dans une lettre de Voltaire au marquis de Barnewall, écrite en anglais à Lunéville le 27 février 1748, il fait la promotion de la traduction du Principia Mathematica par Emilie du Châtelet et juge son amie « plus capable que je ne suis » de disserter et commenter la pensée d’Isaac Newton : « les vérités réelles découvertes par Newton et commentées par la marquise du Châtelet sont au-dessus de toutes les balivernes métaphysiques. » La lettre, découverte dans les archives départementales de la Haute-Garonne au 19e siècle, a été reproduite dans la Revue de Toulouse et du Midi de la France de 1860.

Lettre Voltaire sur Emilie du Châtelet
Revue de Toulouse et du Midi de la France, 1860, article « Chronique du mois », p. 444-446

En 1748, Emilie du Châtelet entame une relation avec le poète et militaire Jean-François de Saint-Lambert tout en restant liée d’amitié avec Voltaire. L’année suivante elle donne naissance à une fille, et meurt six jours plus tard des suites d’une fièvre infectieuse faisant suite à l’accouchement. Après sa mort, Voltaire se charge de faire publier en 1759 sa fameuse traduction du traité de Newton, Principia Mathematica, dirigée par le mathématicien Clairaut et pour laquelle il signe la préface.

 

Emilie du Châtelet est considérée aujourd’hui comme l’une des premières femmes scientifiques d’influence dont on ait conservé les écrits. Si elle a été longtemps connue pour avoir été l’égérie de Voltaire, la postérité l’a finalement réhabilitée récemment en tant qu’éminente scientifique et femme libre, notamment grâce à l’ouvrage d’Elisabeth Badinter, Émilie, ou l'ambition féminine au XVIIIe siècle (Flammarion, 1983).

Pour aller plus loin

  • E. Badinter, Emilie, ou l'ambition féminine au XVIIIe siècle, Paris : Flammarion, 1983
  • E. Badinter, « Emilie du Châtelet, femme de sciences », dans Les Grands dossiers des sciences humaines, n° 49, p. 42-43
  • E. Badinter et D. Muzerelle, Madame Du Châtelet : la femme des Lumières [exposition présentée par la BnF du 7 mars au 3 juin 2006], Paris : Bibliothèque nationale de France, 2006
  • K. Kawashima, Emilie du Châtelet et Marie-Anne Lavoisier : science et genre au XVIIIe siècle, Paris : H. Champion, 2013
  • V. Le Ru, Emilie du Châtelet, philosophe, Paris, Classiques Garnier, 2019
  • M. Touzery, « Émilie Du Châtelet, un passeur scientifique au XVIIIe siècle », dans : La revue pour l’histoire du CNRS [en ligne], n° 21, 2008
  • M. Touzery et G. Menant, Madame Du Châtelet, une femme de sciences et de lettres à Créteil [exposition présentée par l’université Paris 12-Val de Marne, Créteil, du 17 octobre au 17 décembre 2006], Créteil, 2006
  • BnF, Madame du Châtelet. La femme des Lumières, Classes BnF 

Suivez Rosalis