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Coup de projecteur : Les chansons révolutionnaires en occitan
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Coup de projecteur
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Les chansons révolutionnaires en occitan

La vie politique toulousaine pendant la période révolutionnaire (et au-delà) est résolument bilingue : si le français est la langue des actes officiels et des affiches émanant des autorités, l’occitan a toute sa place dans le débat politique local.

Vive la liberté, estampe groupe de danseurs révolutionnaires
Vive la liberté, Paris, 1789, Gallica 

 

Les chansons républicaines de Guillaume Lavabre

L'occitan est notamment utilisé par les partisans de tous les bords afin de produire des chansons à thème politique. Le chansonnier toulousain le plus célèbre est sans doute le cordonnier Guillaume Lavabre (1755-1845), auteur de la “guarisou de Marianno” (“la guérison de Marianne”), qui serait la première évocation de la future et célèbre allégorie de la République. 

Il compose, sans doute en 1799, une chanson intitulée “cansou republicaino ou la cagado royalisto” (“chanson républicaine ou la cagade royaliste”*) à propos d’un événement local : l’insurrection de l’an VII, durant laquelle royalistes et républicains s’affrontent dans diverses localités de Haute-Garonne citées dans la chanson (Saint-Julien, Puylaurens, Castres, Revel, Auriac, Caraman, Lavaur, Albi), la victoire revenant finalement aux républicains. Lavabre compare ce conflit à une partie de cartes dans laquelle les royalistes ne doivent jamais “avoir le Roi”. 

(*Les traductions complètes des chansons se trouvent en bas de l’article.) 

La Clé du caveau, partition musicale
Pierre Capelle, La Clé du Caveau, Paris, 1811, Gallica

Comme dans la plupart des chansons dont seul le texte est imprimé, Lavabre compose uniquement le texte sur des mélodies connues. Ces mélodies peuvent parfois être retrouvées grâce à leur titre dans des recueils comme La Clé du caveau (1811). La “chanson républicaine” est ainsi composée sur l’air “Il était une fillette” (n° 612). 

L’occitan comme arme des contre-révolutionnaires

Mais l’occitan n’est pas seulement la langue du peuple et des partisans de la République. En 1793, c’était l’évêque Antoine Pascal Hyacinthe Sermet (1732-1808) qui avait été la cible d’une chanson satirique se terminant par une mise en garde : “nous croyons fort que l’heure s’avance où l’on vous prépare une danse”.

Cansou cantado pés habitans
Cansou cantado pés habitans dé Sént-Génies, à l'arribado d'él Pero Sermet, Toulouse, 1791, Rosalis

Sermet avait en effet accepté de prêter serment à la Constitution civile du clergé, se mettant ainsi à dos les partisans d’une religion catholique plus traditionnelle et royaliste. Cette chanson, comme l’indique son titre, est censée avoir été “chantée par les habitants de Saint-Ginest à l’arrivée du Père Sermet”, ces habitants s'exprimant à la première personne (“dans notre village”). Sermet avait en effet prononcé dans cette localité un sermon, en occitan, avançant des idées républicaines telles que la remise en question des inégalités sociales.

Sermet, Discours prounounçat dabant la Legiou de Sant-Ginest
A. P. H Sermet, Discours prounounçat dabant la Legiou de Sant-Ginest, Toulouse, 1790, Rosalis

Cette chanson paraît néanmoins avoir été imprimée pour être lue bien plus que pour être chantée : de longues notes de bas de page viennent expliciter et compléter le texte de la chanson par des accusations diverses. Une chanson chantée par les villageois, vraiment ? Ou plutôt une chanson que les partisans de l’Ancien Régime voudraient mettre dans leur bouche ?

Mahoumet ou Sermet
Caricature du Père Sermet : “Mahomet ou Sermet. Tout pain baigné tourne en soupe”, Toulouse, 1792, Rosalis 

Deux exemples de chansons du début du 19e siècle montrent que le choix de la mélodie support du nouveau texte n’est pas laissé au hasard : ainsi la “chanson comique sur la destruction de l’aigle fédérée” est-elle composée sur l’air “ah ! Le bel oiseau, vraiment !”, un trait d’esprit qui tourne en dérision le symbole des partisans de Napoléon Ier après la chute de l’Empire et le retour de la monarchie en France.

Cansou coumiquo sur la destruction
Marmont, Cansou coumiquo, sur la destruction dé l'aiglo fédérado, Toulouse, 1815, Rosalis 

Une autre chanson royaliste de la même époque, intitulée “nouvelle chanson patoise, comique et de table, contre les fédérés”, est composée sur l’air “Vive le Roi ! Vive la France !”, offrant un autre témoignage du rôle de la chanson comme outil de ralliement dans les différentes cultures politiques.   

Noubélo cansou patouoiso, coumiquo é de taoulo
Noubélo cansou patouoiso, coumiquo é de taoulo, Toulouse, 1815, Rosalis 

 

Bibliographie

Boyer (Henri), Fournier (Georges), Gardy (Philippe), Martel (Philippe), Merle (René), Pic (François), Le texte occitan de la période révolutionnaire, 1788-1800, Montpellier, Section française de l'Association internationale d'Études occitanes, 1989. 

Equipe “18ème et Révolution”, Dictionnaire des usages socio-politiques, 1770-1815. Fascicule 5 : langue, occitan, usages, Paris, Klincksieck, 1991. 

Traductions des chansons

Chanson républicaine ou la « cagade » royaliste   
Sur l’air : Il était une fillette 

 

Nous avons joué la partie 

Que l’on nomme l’écarté1 ; 

Ce n’est pas l’or qui nous conduit, 

Mais notre chère liberté :  

Nous avons progressé au mieux 

Nous avons eu beau jeu, 

Grâce à notre jeu plein de feu.  

Le « ci-devant » mal inspiré 

A cru pouvoir nous défier 

A voulu jouer avec nous ; 

Il perdra, comme chacun verra, 

Jamais ne reverra son Roi. (bis) 

 

La première de nos parties  

 À Saint-Julien fut engagée ;  

Et tous ceux qui l’ont suivie 

Avaient de quoi se délecter :  

Julien mêla, coupa, donna ; 

Après qu’on leur eut clos le bec ; 

Puylaurens, Castres et Revel, 

Eurent triomphe encor plus bel : 

Désormais chaque citoyen voit 

Que Saint-Julien n’a plus de Roi. (bis) 

 

À peine Saint-Julien 

Eut la partie achevée  

Qu’Auriac n’eut pas d’autre issue 

Que de s’en mêler. 

Mais tout d’abord 

Subit le même sort, 

Perdant tout au premier abord. 

Ses cartes abattues en dépit du bon sens, 

Auriac quitte le jeu, et voit 

Qu’il n’aura plus jamais le Roi. (bis) 

 

Quatre mille Lagoutines2 

Se portèrent à Caraman ; 

Avec les cartes les plus fines,  

Ils étaient sûrs de leur gain 

Quand Lavaur vient 

Albi reprend 

Un grand jeu ; immédiatement après 

Caraman ne tient parole ; 

Quitte la partie, veut fuir, 

Perd tout et aussitôt voit 

Que jamais elle n’aura le Roi. (bis)

 

Guillaume Lavabre (1755-1845) 

 

Avant de quitter la table3

Qui nous a ici réunis ;  

Je vais vous dire comment 

Nous devons, l’idée n’est pas mauvaise, 

Finir la fête de la paix : 

Préparons donc cent rasades, 

Et tous ensemble levons-nous, 

Pour dire quand elles seront versées : 

Gloire au peuple français qui n’a pas de pareil,  

Vive la république et la grande Nation. 

 

L’An VI (1798)] 

 

Notes :

1. NDLT : l’écarté est un jeu de cartes apparu avant 1800 pour 2 joueurs (variantes pour 3 ou 4). 

2. Fameux joueur, habitant de Mazamet. 

3. NDLT : Ce couplet, ainsi que l’indication de date, sont manuscrits. 

 

 

Chanson chantée par les habitants de Saint-Ginest à l’arrivée du Père Sermet  
Sur l’air : d’en haut en bas 

Père SERMET,  

Votre visage va bien changer 

Père Sermet   

Comment vous tenez-vous si droit ?  

Autrefois dans notre village,  

Vous faisiez un si triste personnage 

Père Sermet.  

  

Les autres fois  

Quand vous prêchiez dans la campagne  

Les autres fois  

Vous auriez marché chaussé de sabots,  

Maintenant il vous faut beaucoup compagnie,1

Et le luxe d’un grand d’Espagne  

En d’autres fois.  

  

Les revenants   

Vous ont fait perdre la tête  

Les revenants   

Que tant d’autres n’ont pas perdu,  

Et la constitution nouvelle  

Pour vous ne serait pas si belle,  

Sans revenants.2

  

Où est le temps  

Où vous estimiez tant votre robe ?  

Où est le temps  

Où vous prêchiez les Pénitents ?  

Alors à la pointe de l’aube  

Pour vous écouter l’on se pressait. 

Où est le temps ?  

  

La religion  

Comptait peu sur votre zèle3

La religion  

Vous estime moins qu’un Juif :  

Hélas ! Quelle peine cruelle  

Cela vous causait-il, quand on se rappelle   

La religion.  

  

Avec notre argent  

De jour en jour  

Vous devenez plus rosse. 

Avec notre argent  

Vous devenez trop insolent, 

Car maintenant que vous tenez la crosse,  

Il vous faut vite un beau carrosse  

Avec notre argent.  

  

L’humilité  

Pour les institutions canoniques4

L’humilité  

Sans doute ne vous a pas guidé ;   

Car pour vendre vos reliques  

Vous avez écourté les pratiques, 

Vous avez volé.  

  

Pensez à vous  

Car la constitution de France ;  

Pensez à vous  

Ne vous promet plus de faveurs.  

Nous croyons fort que l’heure s’avance  

Où l’on vous prépare une danse ;  

Pensez à vous.

 

Notes :

1. Autrefois, le Père Sermet mangeait chez tout le monde ; et maintenant, pour s’acquitter de la reconnaissance qu’il doit à certaines personnes, il n’a pas fait de difficultés pour sacrifier sa conscience et assortir sa table comme celle des riches ; et pour que rien n’y manque, il s’est associé les comédiens et les comédiennes et nombre d’autres personnes que le dernier des hommes rougirait de fréquenter.  

2. L’avis que nous donnons ici à toutes les honnêtes gens qui nous feront l’honneur de nous lire, n’est pas tout à fait indifférent. Les petites choses ont souvent produit de grands effets et l’élévation du Père Sermet en est une bonne preuve ; (vous qui le connaissez si bien, grands et petits de la ville de Toulouse, surtout vous autres, frères en religion, passons ces réflexions) car sans lui, nous aurions encore conservé tous les chapelains et moines qui si longtemps nous avaient édifiés par leurs exemples, consolés par leur instruction et soutenus de leurs libéralités ; sans lui tout le département, et plus peut-être ceux qui sont nos voisins, se seraient préservés de cette peste qui désole et l’Église et les consciences. Il avait bien raison, le fin matou, quand, dans notre Village, il nous débitait sa marchandise avec une espèce de désintéressement, de nous dire tant de mal de tous les ordres accrédités, de déchirer de toutes ses dents les pouvoirs de l’Église et la justice des hommes ; il voulait atteindre son but quel qu’en fût le prix, et la religion lui servit de prétexte ; il était instruit de longue date du renversement général qui devait avoir lieu ; et déjà alors il s’appliquait à nous faire détester tout ce qui devait nous tenir le plus à cœur ; déjà les protestants connaissaient le Dieu à qui il sacrifiait son travail et ses veilles ; jamais sa belle âme n’avait su résister à l’appât de l’or ; qui pouvait payer le plus était sûr de l’avoir ; et nous ne serions pas surpris d’apprendre un jour, que de schismatique le plus décidé, il est devenu protestant, juif ou mahométan.  

3. Toutes les personnes qui connaissent le Père Sermet ne nous démentiront pas sur ce point ; témoin, la lettre du père Félix, et la scène qui se passa chez Monsieur de B… il y a de cela quelque temps. À la sortie d’un sermon qu’il venait de prêcher, ce brave Père, Monsieur de B…, l’invita à déjeuner ; (il refusa de se rendre à de pareilles invitations, cela n’a jamais été de son caractère) après ces choses dites de part et d’autre, ce Monsieur félicita le Père des belles paroles qu’il avait débitées en chaire, et là il lui dit : « Père Sermet, vous avez prêché aujourd’hui comme un ange, et quoique vous n’ayez fait que commenter l’ Évangile, vous avez donné une bien grande preuve de vos talents, et plus encore de la sainteté de la religion catholique ; vous avez édifié tout votre auditoire. »  

La réponse du Père Sermet fut un peu tardive et il ne nous la donna qu’à la fin du dessert, nous allons la rapporter mot à mot : « Vous avez eu la bonté, Monsieur, de m’accorder quelques talents, je vous en remercie, mais quant aux vérités que j’ai avancées, que croiriez-vous si je vous disais le contraire ?  

- Ce que je croirais ! Vous me faites frémir ; il faut que vous soyez un grand monstre pour vous vanter de pareille chose ; retirez-vous au plus vite, et ne vous représentez plus chez moi. ». 

Nous prétendons qu’à son grand regret, le pauvre Père fut obligé de s’en tenir pour dit.  

4. Le chaste, le modeste, le désintéressé Père Sermet, accoutumé à toujours calculer d’après les circonstances, n’a pas rougi se constituer un patrimoine scandaleux, par le biais des institutions canoniques : là, cependant, l’homme qui, sur les bancs du club, promettait solennellement d’avoir assez de douze cents francs, si par hasard il était nommé évêque, pour nourrir sa vile quête ! Ce seul trait nous rappelle les proverbes des anciens, que non, il n’y a de pire abbé que celui qui fut moine, et que rien ne lui coûtera pour satisfaire sa cupidité.  

 

 

Chanson comique sur la destruction de l’aigle fédérée 

Sur l’air : Ah ! Le bel oiseau, vraiment !  

Par le Sr MARMONT

 

Maintenant nous l’avons attrapé,  

L’Oiseau aux grandes ailes,  

Maintenant nous l’avons attrapé,  

Et nous l’avons plumé.  

  

À Toulouse sur le pont neuf,  

Il faisait sinistre figure ;  

Et se hérissait de peur  

En voyant sa sépulture :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

Nous ne le verrons plus voler  

Sur le clocher de la Dalbade ,  

Il ne viendra pas se poser   

Sur le dôme de la Daurade :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

En dépit des coquins ébahis 

La tête de l’aigle impériale,  

Fut chassée par les fleurs de Lys  

De la famille royale :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

Il n’ira pas tournoyer 

Autour de la préfecture,  

Ni ne viendra s’afficher  

Devant la maison commune :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

Avec ses griffes, ce nigaud 

S’est laissé prendre par la foudre ;  

Dans son long bec crochu  

On lui a fait avaler la poudre :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

Certes nous ne le verrons plus  

Ce ruban de la fouine,  

Qui flottait au Champ-de-Mars  

Sur l’oiseau de rapine :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

Pour célébrer les honneurs  

De la couronne impériale,  

Ils ont brûlé les trois couleurs  

Sur la place royale :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

Avant son exécution,  

L’Aigle confesse par avance,  

Qu’il a fait la restitution  

De la couronne de France :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

Ces pauvres Fédérés,  

En proie à la colique,  

Sont, ma foi, désespérés  

De perdre la République :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

Ils semblent tous défigurés  

Depuis qu’ils ont pris l’émétique, 

Ils se trouvent déracinés,  

De leur fielleuse politique :   

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

Les Verdets, toujours zélés,  

Des chats empruntent la vue,  

Et pour gober les Fédérés :   

Sont nuit et jour à les guetter :  

Maintenant nous l’avons attrapé, etc.  

  

En terminant la chanson  

De l’aigle déplumée,  

J’administre un flot de poison  

À la dite gent Fédérée :  

Maintenant nous l’avons retrouvé  

Le Roi que tant nous désirions ;  

Maintenant nous l’avons retrouvé  

Notre bon Roi tant désiré.  

 

 

Nouvelle chanson patoise, comique et de table, contre les fédérés   

Sur l’air : Vive le Roi ! Vive la France !  

 

Maintenant que nous avons enchaîné  

Le tigre qui nous dévorait,  

Ça, chantons tous à pleine voix,  

Puisque la bête est terrassée ;  

Chantons tous Vive Bourbon !  

Au diable soit Napoléon  

Et sa détestable séquelle. (bis)  

  

Tremblez, tremblez à votre tour,  

Présidents, orateurs, clubistes ;  

Nous pourrions bien vous jouer un tour,  

Brouillons, fédérés, anarchistes ;  

Un jour vous pourriez essayer  

Vos crocs et vos menottes ;  

Car alors vous pourriez juger  

Du plaisir d’être sans-culottes. (bis)  

  

Mais laissons ici, mes amis,  

Toute cette infernale clique ;  

Maintenant que nous nous réjouissons tous,  

Perçons la meilleure barrique,  

Buvons, buvons tous ensemble,  

LOUIS nous donne l’abondance :  

Il nous faut un verre tel un sabot,  

Pour boire à notre Roi de France. (bis)  

  

Braves gens de ce coin,  

Qui aimez faire la noce, 

Écoutez cette chanson,  

Napoléon est dans la fange. 

Rions à tire-larigot  

Faisons la noce et faisons bombance :   

Il faut un verre tel un sabot  

Pour boire à notre Roi de France. (bis)  

  

Fillettes, qui aimez chanter  

Quelque nouvelle chansonnette,  

Venez toutes nous aider ;  

Portons un coup au bonnet ;  

Chantons tous Vive Bourbon !  

Vive la paix ! plus de querelles !  

Au diable soit Napoléon  

Et sa détestable séquelle. (bis)  

 

Par M. Vidalat (1815)  

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