
Les chansons révolutionnaires en occitan
La vie politique toulousaine pendant la période révolutionnaire (et au-delà) est résolument bilingue : si le français est la langue des actes officiels et des affiches émanant des autorités, l’occitan a toute sa place dans le débat politique local.

Les chansons républicaines de Guillaume Lavabre
L'occitan est notamment utilisé par les partisans de tous les bords afin de produire des chansons à thème politique. Le chansonnier toulousain le plus célèbre est sans doute le cordonnier Guillaume Lavabre (1755-1845), auteur de la “guarisou de Marianno” (“la guérison de Marianne”), qui serait la première évocation de la future et célèbre allégorie de la République.
Il compose, sans doute en 1799, une chanson intitulée “cansou republicaino ou la cagado royalisto” (“chanson républicaine ou la cagade royaliste”*) à propos d’un événement local : l’insurrection de l’an VII, durant laquelle royalistes et républicains s’affrontent dans diverses localités de Haute-Garonne citées dans la chanson (Saint-Julien, Puylaurens, Castres, Revel, Auriac, Caraman, Lavaur, Albi), la victoire revenant finalement aux républicains. Lavabre compare ce conflit à une partie de cartes dans laquelle les royalistes ne doivent jamais “avoir le Roi”.
(*Les traductions complètes des chansons se trouvent en bas de l’article.)

Comme dans la plupart des chansons dont seul le texte est imprimé, Lavabre compose uniquement le texte sur des mélodies connues. Ces mélodies peuvent parfois être retrouvées grâce à leur titre dans des recueils comme La Clé du caveau (1811). La “chanson républicaine” est ainsi composée sur l’air “Il était une fillette” (n° 612).
L’occitan comme arme des contre-révolutionnaires
Mais l’occitan n’est pas seulement la langue du peuple et des partisans de la République. En 1793, c’était l’évêque Antoine Pascal Hyacinthe Sermet (1732-1808) qui avait été la cible d’une chanson satirique se terminant par une mise en garde : “nous croyons fort que l’heure s’avance où l’on vous prépare une danse”.

Sermet avait en effet accepté de prêter serment à la Constitution civile du clergé, se mettant ainsi à dos les partisans d’une religion catholique plus traditionnelle et royaliste. Cette chanson, comme l’indique son titre, est censée avoir été “chantée par les habitants de Saint-Ginest à l’arrivée du Père Sermet”, ces habitants s'exprimant à la première personne (“dans notre village”). Sermet avait en effet prononcé dans cette localité un sermon, en occitan, avançant des idées républicaines telles que la remise en question des inégalités sociales.

Cette chanson paraît néanmoins avoir été imprimée pour être lue bien plus que pour être chantée : de longues notes de bas de page viennent expliciter et compléter le texte de la chanson par des accusations diverses. Une chanson chantée par les villageois, vraiment ? Ou plutôt une chanson que les partisans de l’Ancien Régime voudraient mettre dans leur bouche ?

Deux exemples de chansons du début du 19e siècle montrent que le choix de la mélodie support du nouveau texte n’est pas laissé au hasard : ainsi la “chanson comique sur la destruction de l’aigle fédérée” est-elle composée sur l’air “ah ! Le bel oiseau, vraiment !”, un trait d’esprit qui tourne en dérision le symbole des partisans de Napoléon Ier après la chute de l’Empire et le retour de la monarchie en France.

Une autre chanson royaliste de la même époque, intitulée “nouvelle chanson patoise, comique et de table, contre les fédérés”, est composée sur l’air “Vive le Roi ! Vive la France !”, offrant un autre témoignage du rôle de la chanson comme outil de ralliement dans les différentes cultures politiques.

Bibliographie
Boyer (Henri), Fournier (Georges), Gardy (Philippe), Martel (Philippe), Merle (René), Pic (François), Le texte occitan de la période révolutionnaire, 1788-1800, Montpellier, Section française de l'Association internationale d'Études occitanes, 1989.
Equipe “18ème et Révolution”, Dictionnaire des usages socio-politiques, 1770-1815. Fascicule 5 : langue, occitan, usages, Paris, Klincksieck, 1991.
Traductions des chansons
Chanson républicaine ou la « cagade » royaliste
Sur l’air : Il était une fillette
Nous avons joué la partie
Que l’on nomme l’écarté1 ;
Ce n’est pas l’or qui nous conduit,
Mais notre chère liberté :
Nous avons progressé au mieux
Nous avons eu beau jeu,
Grâce à notre jeu plein de feu.
Le « ci-devant » mal inspiré
A cru pouvoir nous défier
A voulu jouer avec nous ;
Il perdra, comme chacun verra,
Jamais ne reverra son Roi. (bis)
La première de nos parties
À Saint-Julien fut engagée ;
Et tous ceux qui l’ont suivie
Avaient de quoi se délecter :
Julien mêla, coupa, donna ;
Après qu’on leur eut clos le bec ;
Puylaurens, Castres et Revel,
Eurent triomphe encor plus bel :
Désormais chaque citoyen voit
Que Saint-Julien n’a plus de Roi. (bis)
À peine Saint-Julien
Eut la partie achevée
Qu’Auriac n’eut pas d’autre issue
Que de s’en mêler.
Mais tout d’abord
Subit le même sort,
Perdant tout au premier abord.
Ses cartes abattues en dépit du bon sens,
Auriac quitte le jeu, et voit
Qu’il n’aura plus jamais le Roi. (bis)
Quatre mille Lagoutines2
Se portèrent à Caraman ;
Avec les cartes les plus fines,
Ils étaient sûrs de leur gain
Quand Lavaur vient
Albi reprend
Un grand jeu ; immédiatement après
Caraman ne tient parole ;
Quitte la partie, veut fuir,
Perd tout et aussitôt voit
Que jamais elle n’aura le Roi. (bis)
Guillaume Lavabre (1755-1845)
Avant de quitter la table3,
Qui nous a ici réunis ;
Je vais vous dire comment
Nous devons, l’idée n’est pas mauvaise,
Finir la fête de la paix :
Préparons donc cent rasades,
Et tous ensemble levons-nous,
Pour dire quand elles seront versées :
Gloire au peuple français qui n’a pas de pareil,
Vive la république et la grande Nation.
L’An VI (1798)]
Notes :
1. NDLT : l’écarté est un jeu de cartes apparu avant 1800 pour 2 joueurs (variantes pour 3 ou 4).
2. Fameux joueur, habitant de Mazamet.
3. NDLT : Ce couplet, ainsi que l’indication de date, sont manuscrits.
Chanson chantée par les habitants de Saint-Ginest à l’arrivée du Père Sermet
Sur l’air : d’en haut en bas
Père SERMET,
Votre visage va bien changer
Père Sermet
Comment vous tenez-vous si droit ?
Autrefois dans notre village,
Vous faisiez un si triste personnage
Père Sermet.
Les autres fois
Quand vous prêchiez dans la campagne
Les autres fois
Vous auriez marché chaussé de sabots,
Maintenant il vous faut beaucoup compagnie,1
Et le luxe d’un grand d’Espagne
En d’autres fois.
Les revenants
Vous ont fait perdre la tête
Les revenants
Que tant d’autres n’ont pas perdu,
Et la constitution nouvelle
Pour vous ne serait pas si belle,
Sans revenants.2
Où est le temps
Où vous estimiez tant votre robe ?
Où est le temps
Où vous prêchiez les Pénitents ?
Alors à la pointe de l’aube
Pour vous écouter l’on se pressait.
Où est le temps ?
La religion
Comptait peu sur votre zèle3
La religion
Vous estime moins qu’un Juif :
Hélas ! Quelle peine cruelle
Cela vous causait-il, quand on se rappelle
La religion.
Avec notre argent
De jour en jour
Vous devenez plus rosse.
Avec notre argent
Vous devenez trop insolent,
Car maintenant que vous tenez la crosse,
Il vous faut vite un beau carrosse
Avec notre argent.
L’humilité
Pour les institutions canoniques4
L’humilité
Sans doute ne vous a pas guidé ;
Car pour vendre vos reliques
Vous avez écourté les pratiques,
Vous avez volé.
Pensez à vous
Car la constitution de France ;
Pensez à vous
Ne vous promet plus de faveurs.
Nous croyons fort que l’heure s’avance
Où l’on vous prépare une danse ;
Pensez à vous.
Notes :
1. Autrefois, le Père Sermet mangeait chez tout le monde ; et maintenant, pour s’acquitter de la reconnaissance qu’il doit à certaines personnes, il n’a pas fait de difficultés pour sacrifier sa conscience et assortir sa table comme celle des riches ; et pour que rien n’y manque, il s’est associé les comédiens et les comédiennes et nombre d’autres personnes que le dernier des hommes rougirait de fréquenter.
2. L’avis que nous donnons ici à toutes les honnêtes gens qui nous feront l’honneur de nous lire, n’est pas tout à fait indifférent. Les petites choses ont souvent produit de grands effets et l’élévation du Père Sermet en est une bonne preuve ; (vous qui le connaissez si bien, grands et petits de la ville de Toulouse, surtout vous autres, frères en religion, passons ces réflexions) car sans lui, nous aurions encore conservé tous les chapelains et moines qui si longtemps nous avaient édifiés par leurs exemples, consolés par leur instruction et soutenus de leurs libéralités ; sans lui tout le département, et plus peut-être ceux qui sont nos voisins, se seraient préservés de cette peste qui désole et l’Église et les consciences. Il avait bien raison, le fin matou, quand, dans notre Village, il nous débitait sa marchandise avec une espèce de désintéressement, de nous dire tant de mal de tous les ordres accrédités, de déchirer de toutes ses dents les pouvoirs de l’Église et la justice des hommes ; il voulait atteindre son but quel qu’en fût le prix, et la religion lui servit de prétexte ; il était instruit de longue date du renversement général qui devait avoir lieu ; et déjà alors il s’appliquait à nous faire détester tout ce qui devait nous tenir le plus à cœur ; déjà les protestants connaissaient le Dieu à qui il sacrifiait son travail et ses veilles ; jamais sa belle âme n’avait su résister à l’appât de l’or ; qui pouvait payer le plus était sûr de l’avoir ; et nous ne serions pas surpris d’apprendre un jour, que de schismatique le plus décidé, il est devenu protestant, juif ou mahométan.
3. Toutes les personnes qui connaissent le Père Sermet ne nous démentiront pas sur ce point ; témoin, la lettre du père Félix, et la scène qui se passa chez Monsieur de B… il y a de cela quelque temps. À la sortie d’un sermon qu’il venait de prêcher, ce brave Père, Monsieur de B…, l’invita à déjeuner ; (il refusa de se rendre à de pareilles invitations, cela n’a jamais été de son caractère) après ces choses dites de part et d’autre, ce Monsieur félicita le Père des belles paroles qu’il avait débitées en chaire, et là il lui dit : « Père Sermet, vous avez prêché aujourd’hui comme un ange, et quoique vous n’ayez fait que commenter l’ Évangile, vous avez donné une bien grande preuve de vos talents, et plus encore de la sainteté de la religion catholique ; vous avez édifié tout votre auditoire. »
La réponse du Père Sermet fut un peu tardive et il ne nous la donna qu’à la fin du dessert, nous allons la rapporter mot à mot : « Vous avez eu la bonté, Monsieur, de m’accorder quelques talents, je vous en remercie, mais quant aux vérités que j’ai avancées, que croiriez-vous si je vous disais le contraire ?
- Ce que je croirais ! Vous me faites frémir ; il faut que vous soyez un grand monstre pour vous vanter de pareille chose ; retirez-vous au plus vite, et ne vous représentez plus chez moi. ».
Nous prétendons qu’à son grand regret, le pauvre Père fut obligé de s’en tenir pour dit.
4. Le chaste, le modeste, le désintéressé Père Sermet, accoutumé à toujours calculer d’après les circonstances, n’a pas rougi se constituer un patrimoine scandaleux, par le biais des institutions canoniques : là, cependant, l’homme qui, sur les bancs du club, promettait solennellement d’avoir assez de douze cents francs, si par hasard il était nommé évêque, pour nourrir sa vile quête ! Ce seul trait nous rappelle les proverbes des anciens, que non, il n’y a de pire abbé que celui qui fut moine, et que rien ne lui coûtera pour satisfaire sa cupidité.
Chanson comique sur la destruction de l’aigle fédérée
Sur l’air : Ah ! Le bel oiseau, vraiment !
Par le Sr MARMONT
Maintenant nous l’avons attrapé,
L’Oiseau aux grandes ailes,
Maintenant nous l’avons attrapé,
Et nous l’avons plumé.
À Toulouse sur le pont neuf,
Il faisait sinistre figure ;
Et se hérissait de peur
En voyant sa sépulture :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
Nous ne le verrons plus voler
Sur le clocher de la Dalbade ,
Il ne viendra pas se poser
Sur le dôme de la Daurade :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
En dépit des coquins ébahis
La tête de l’aigle impériale,
Fut chassée par les fleurs de Lys
De la famille royale :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
Il n’ira pas tournoyer
Autour de la préfecture,
Ni ne viendra s’afficher
Devant la maison commune :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
Avec ses griffes, ce nigaud
S’est laissé prendre par la foudre ;
Dans son long bec crochu
On lui a fait avaler la poudre :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
Certes nous ne le verrons plus
Ce ruban de la fouine,
Qui flottait au Champ-de-Mars
Sur l’oiseau de rapine :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
Pour célébrer les honneurs
De la couronne impériale,
Ils ont brûlé les trois couleurs
Sur la place royale :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
Avant son exécution,
L’Aigle confesse par avance,
Qu’il a fait la restitution
De la couronne de France :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
Ces pauvres Fédérés,
En proie à la colique,
Sont, ma foi, désespérés
De perdre la République :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
Ils semblent tous défigurés
Depuis qu’ils ont pris l’émétique,
Ils se trouvent déracinés,
De leur fielleuse politique :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
Les Verdets, toujours zélés,
Des chats empruntent la vue,
Et pour gober les Fédérés :
Sont nuit et jour à les guetter :
Maintenant nous l’avons attrapé, etc.
En terminant la chanson
De l’aigle déplumée,
J’administre un flot de poison
À la dite gent Fédérée :
Maintenant nous l’avons retrouvé
Le Roi que tant nous désirions ;
Maintenant nous l’avons retrouvé
Notre bon Roi tant désiré.
Nouvelle chanson patoise, comique et de table, contre les fédérés
Sur l’air : Vive le Roi ! Vive la France !
Maintenant que nous avons enchaîné
Le tigre qui nous dévorait,
Ça, chantons tous à pleine voix,
Puisque la bête est terrassée ;
Chantons tous Vive Bourbon !
Au diable soit Napoléon
Et sa détestable séquelle. (bis)
Tremblez, tremblez à votre tour,
Présidents, orateurs, clubistes ;
Nous pourrions bien vous jouer un tour,
Brouillons, fédérés, anarchistes ;
Un jour vous pourriez essayer
Vos crocs et vos menottes ;
Car alors vous pourriez juger
Du plaisir d’être sans-culottes. (bis)
Mais laissons ici, mes amis,
Toute cette infernale clique ;
Maintenant que nous nous réjouissons tous,
Perçons la meilleure barrique,
Buvons, buvons tous ensemble,
LOUIS nous donne l’abondance :
Il nous faut un verre tel un sabot,
Pour boire à notre Roi de France. (bis)
Braves gens de ce coin,
Qui aimez faire la noce,
Écoutez cette chanson,
Napoléon est dans la fange.
Rions à tire-larigot
Faisons la noce et faisons bombance :
Il faut un verre tel un sabot
Pour boire à notre Roi de France. (bis)
Fillettes, qui aimez chanter
Quelque nouvelle chansonnette,
Venez toutes nous aider ;
Portons un coup au bonnet ;
Chantons tous Vive Bourbon !
Vive la paix ! plus de querelles !
Au diable soit Napoléon
Et sa détestable séquelle. (bis)
Par M. Vidalat (1815)