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Les vacances d’été : de la villégiature aristocratique au droit aux loisirs
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Les vacances d’été : de la villégiature aristocratique au droit aux loisirs

Quand arrive l’été, les rues de nos villes se vident, les gares s’animent, et les plages se remplissent. Cette grande migration estivale, aujourd’hui bien ancrée dans nos habitudes, est pourtant le fruit d’une longue évolution sociale, culturelle et économique, amorcée dès le 19ᵉ siècle. Rosalis revient ici sur l’histoire des vacances d’été, depuis la villégiature des élites jusqu’à l’avènement d’un droit au repos pour tous. 

Vacances : camping en Ecosse, photographie de presse de 1932
Agence Mondial, Vacances : camping en Ecosse, photographie de presse, 1932 (Gallica) 

 

Le privilège des villégiatures (19ᵉ siècle)

Au 19ᵉ siècle, partir pour l’été n’est pas une pratique répandue. Seule une infime partie de la société française (les aristocrates et les riches rentiers) peut s’offrir le luxe de “se récréer” à la campagne, dans des lieux de villégiature. Ces élites, libres des contraintes économiques, quittent les villes entre mai et octobre pour retrouver leurs châteaux familiaux à la campagne. 

La maison de campagne, gravure du 19e siècle
Pellerin, La maison de campagne, n°137, gravure, 1861 (Gallica) 

Leur année se scinde en deux temps : la saison mondaine, consacrée aux affaires et aux réceptions en ville, et la saison champêtre, rythmée par la chasse, les promenades et les rencontres familiales à la campagne. Cette organisation du temps, liée à la classe sociale, va peu à peu influencer d'autres milieux. 

Revue Nos loisirs, image d'un homme qui chasse et d'une femme qui lit un livre dans un champs
Nos loisirs, n° 21, 23 mai 1909, et n° 37, 12 septembre 1909, Bibliothèque de Toulouse, P 3021

Au fil du siècle, les bourgeois suivent l’exemple des aristocrates. Possédant souvent plusieurs résidences, ils passent plusieurs mois à la campagne, tout en gardant un œil sur leurs affaires. Les familles, accompagnées de leurs domestiques, s’installent à la campagne avec un souci de confort et de représentation. 

Gravure de Biarritz : Vue des Bains Napoléon et du Casino au 19e siècle
Charles Mercereau, Bagnères-de-Luchon : l'établissement thermal et la buvette, gravure, 1853-1876 (Rosalis)

Cependant, une distinction s’opère : les bourgeois parisiens privilégient les maisons de campagne qui leur appartiennent, tandis que ceux de province louent des résidences ou fréquentent des hôtels. Cette mobilité temporaire devient l’occasion de varier les plaisirs et les lieux de villégiature. 

Gravure de Biarritz : Vue des Bains Napoléon et du Casino
Charles Mercereau, Biarritz : Vue des Bains Napoléon et du Casino, gravure, 1853-1876 (Rosalis)

 

Le train et la démocratisation du voyage (milieu 19ᵉ siècle)

Le terme “touriste”, popularisé par Stendhal en 1838 (Mémoires d’un touriste), entre dans le langage courant. Une presse spécialisée voit le jour, comme la Gazette du littoral méditerranéen (1872), La Gazette des touristes : moniteur des clubs alpins (1877) ou Le Journal des touristes et des villégiatures qui relate les actualités des stations.  

Photographie de Biarritz : les enfants Serven sur la grande plage
Eugène Trutat, Biarritz : Grande plage, enfants Serven, photographie, 22 septembre 1897 (Rosalis)

L’essor du chemin de fer bouleverse cette organisation élitiste. Dès 1848, le “premier train du plaisir” relie Paris à Dieppe. Le train réduit de deux tiers le temps de trajet par rapport à la voiture à cheval et ouvre la voie à une nouvelle forme de mobilité.  

Affiche des Chemins de fer du Midi : Voyages à prix réduits aux Pyrénées
[A. Bellier & Cie], Chemin de fer du Midi. Voyages à prix réduits aux Pyrénées, affiche, 1890 (Rosalis)

Le voyage vers les villes balnéaires, thermales ou à la campagne devient une nouvelle norme pour les citadins aisés. Des stations, comme Biarritz, Deauville, Vichy, ou encore Nice, deviennent les nouveaux lieux mondains à la mode, hiver comme été. 

Affiche des Chemins de fer d'Orléans et du midi : L'Hiver au Golfe de Gascogne et aux Pyrénées
[M. Alinat et E. Brun], Chemins de fer d'Orléans et du midi. L'Hiver au Golfe de Gascogne et aux Pyrénées, affiche, 1890 (Rosalis)

 

Des loisirs pour tous (20ᵉ siècle)

À la fin du 19ᵉ siècle, le tourisme s’organise avec la fondation du Touring Club de France (association fondée en 1890 pour le développement du cyclotourisme), la publication du Guide Michelin (depuis 1900), ou encore la création des premiers syndicats d’initiative. 

Livre "Ce que Michelin a fait pour le tourisme"
Michelin et Cie, Ce que Michelin a fait pour le tourisme, 1912 (Gallica)

Peu à peu, le désir de nature et de repos sort du cadre aristocratique et bourgeois pour s’étendre à d’autres couches de la société.  

photographie d'une sortie de bain à Trouville : deux femmes en maillots en 1904 sortant de la mer, observées par une foule de curieux
Agence Rol, Sortie de bain à Trouville, photographie de presse, 1904-1907 (Gallica)

Le camping se développe à l’aube du 20ᵉ siècle : il concerne au départ principalement des hommes seuls, issus des classes socio-professionnelles élevées, puis progressivement leurs familles viennent avec eux. Ce sont souvent des randonneurs, pédestres ou cyclotouristes, qui cherchent à échapper à l’air pollué des grandes villes. Ici, on peut reconnaître le chancelier de l’Échiquier (futur Premier ministre britannique) David Lloyd George et sa famille en camping dans la campagne en 1913.  

Photographie de Mr Lloyd George et sa famille en camping
Agence Rol, Mr Lloyd George et sa famille [en camping], photographie de presse, 1913 (Gallica)

Les dimanches d’excursion deviennent une habitude pour les citadins plus modestes, comme Marcel Pagnol se le remémore dans Le Château de ma mère (publié en 1957) à partir de ses souvenirs des escapades familiales à La Treille chaque samedi dans les années 1900. La distinction entre temps de travail et temps de loisir s’impose progressivement pour différentes couches de la société. 

photographie d'une excursion de la famille Levasseur aux Pyrénées, en pique-nique
Fernand Levasseur, Excursion de la famille Levasseur aux Pyrénées, photographie de famille, 1926-1927 (Gallica)

La Revue hebdomadaire résume bien ce basculement dans un article de 1912 :  

On se singularisait presque, il y a cinquante ans, en prenant des vacances ; on se singularise presque de nos jours en n’en prenant pas.”  

Une femme en maillot de bain posant sur les rochers
Agence Rol, [Une femme en maillot de bain posant sur les rochers], photographie de presse, 1912 (Gallica)

Cette évolution se traduit aussi par l’essor des vacances scolaires, qui ne sont plus uniquement liées au calendrier religieux ou aux besoins agricoles, mais deviennent de véritables temps de pause pour les élèves et les enseignants. Les premières colonies de vacances apparaissent, et avec elles une nouvelle vision de l’enfance et de l’éducation par la nature. Le scoutisme s’implante en France dès 1911. 

Groupe d'adolescents en camp en colonie de vacances
Agence Rol, [Adolescents en camp], photographie de presse, 1919 (Gallica)

Ce qui relevait du luxe devient une revendication : le loisir, le repos, la promenade et le voyage deviennent autant de droits sociaux en gestation. Les congés payés sont finalement instaurés en 1936 à la suite d’un mouvement de grève massif : les travailleurs et travailleuses accompagnés par la CGT ont gagné deux semaines de congés payés. 

Départ de la gare St Lazare des petites filles des Quinquins pour les vacances
Agence Rol, [gare] St Lazare, départ des Quinquins pour les vacances, photographie de presse, 1933 (Gallica)

 

Ces mutations sociales, culturelles et économiques préparent la voie aux grandes avancées du 20ᵉ siècle. Lorsque les congés payés sont instaurés en 1936, ils concrétisent une transformation déjà en marche depuis plusieurs générations. Entre tradition aristocratique, imitation bourgeoise, avancées technologiques et conquêtes sociales, les vacances d’été nous racontent une autre manière d’organiser le temps, de vivre la nature, et de penser le bien-être. 

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