L’or de Toulouse : quelle est la part de légendes et de faits réels ?
La première épopée évoquant Toulouse date de l’Antiquité et concerne une histoire de trésor maudit qui a donné lieu à une expression : « avoir l’or de Toulouse », synonyme d'un bien mal acquis portant malheur. Depuis l’Antiquité, deux histoires de pillages se mêlent autour du trésor de Toulouse. Ces histoires ont enflammé l’imagination des historiens et des chercheurs pendant plus de vingt siècles. Rosalis fait le point sur ces légendes et les faits historiques.
La première légende : le pillage de Delphes (279 av. notre ère)
L’or de Toulouse (aurum tolosanum) était constitué de lingots d’or et d’argent. La légende raconte que ce trésor proviendrait du pillage du sanctuaire d’Apollon à Delphes par les Volques Tectosages, peuple de la Tolosa antique, lors de la Grande Expédition gauloise qui eut lieu en 279 av. notre ère.
Selon la légende, le chef, Brennos, avait mené les Gaulois à Delphes et pillé la cité et le sanctuaire d’Apollon. Mais le dieu grec se serait vengé. Les Gaulois sont vaincus, Brennos est blessé et meurt peu après. Une partie des troupes celtes s’enfuit en Anatolie et fonde la Galatie, l’autre partie rentre dans sa patrie d’origine. Parmi eux, le peuple des Volques Tectosages rentre à Tolosa en emportant le trésor pillé à Delphes. Apollon poursuit sa vengeance en frappant la cité de Toulouse de la peste. Le trésor est maudit en raison de sa provenance sacrilège.
La deuxième légende : l’or de Toulouse (106 av. notre ère)
Presque 200 ans plus tard, la légende continue. En 106 av. notre ère, le consul romain Cépion s’empare de Tolosa suite à la révolte des Volques Tectosages et fait à son tour main-basse sur les richesses sacrées du trésor pillé à Delphes. Ces richesses étaient cachées dans des temples et des étangs sacrés. Mais les Romains et Cépion sont à leur tour frappés de malheur : les armées romaines sont écrasées par les Germains à Orange, Cépion se fait voler son butin et finit exilé loin de Rome.
Son destin tragique et sa disgrâce marquent tellement les esprits qu'on les explique par une malédiction divine : « l'or sacré de Toulouse » porte malheur car Apollon continue de venger le premier pillage sacrilège. Ces deux légendes sont nées au 1er siècle av. notre ère comme explication aux défaites des Tectosages et du consul romain. Le récit finit par devenir une réalité admise comme vérité au fil des siècles.
Faits historiques autour des évènements racontés
Aujourd’hui les historiens questionnent l’historicité des faits racontés dans ces deux histoires. En effet, la Tolosa celtique n’est nommée dans les textes antiques qu’à partir du 1er siècle av. notre ère et la plupart des récits sont postérieurs aux faits. Les auteurs sont grecs ou romains, aucun témoignage ne provient directement des Tectosages ou des Gaulois. Ces sources sont donc indirectes et les historiens se réfèrent aussi aux sources archéologiques pour documenter cette histoire.
La légende intègre pourtant des faits historiques. En 106 av. notre ère, la prise de Toulouse est bien réelle. Tolosa se révolte en profitant du désordre créé par l’arrivée de peuples germaniques celtisés, les Cimbres et les Teutons. Les Tectosages emprisonnent la garnison romaine de Toulouse. Le consul romain en exercice, Servilius Caepio (Cépion), riposte, et en profite pour piller la ville et le très riche sanctuaire de Tolosa. Il ramène le trésor vers Rome mais raconte que des brigands l’ont attaqué en chemin et ont volé une partie du butin. Puis en 105 av. notre ère, l’armée romaine de Cépion est anéantie par les Cimbres et les Teutons. En raison de cet échec, Cépion est expulsé du Sénat en -104, déchu de sa citoyenneté et exilé à Smyrne en -103. Finalement l’armée romaine se relève et met un terme définitif à la révolte des Tectosages vers -101.
Les historiens actuels reconnaissent que le trésor a bien été pillé par l’armée de Cépion et que son procès à Rome a bien eu lieu. Deux textes attestent également qu’une partie du trésor de Toulouse est bien parvenue à Rome (Anonyme, De viris illustribus, fin 3e s. av. notre ère / Appien, Guerres civiles, I, 29, -100). C’est à l’occasion de cet évènement historique que s’est créée la légende de l’or de Toulouse.
Pour donner une explication divine à ces malheurs, quelques années à peine après le récit de cette histoire, on lui a greffé à un autre récit de pillage : celui du trésor du sanctuaire d’Apollon à Delphes en 279 av. notre ère. Bien que de nombreux récits antiques documentent l’expédition gauloise de -279 en Macédoine et en Grèce, le nom des Tectosages n’apparaît en fait nulle part dans la partie du récit qui parle de l’attaque de Delphes. De plus, tous les récits sont postérieurs aux faits racontés puisqu’ils datent du 2e et du 1er siècle av. notre ère.
En revanche, il est un point intéressant que nous apprend la légende : Tolosa était une ville riche et puissante économiquement à la fin du 2e siècle av. notre ère. Cépion a bien trouvé à Tolosa une grande quantité de métaux précieux. Ainsi, on a retrouvé par exemple dans les fouilles archéologiques cinq torques en or à Fenouillet, des parures d’or à Lasgraisses et de nombreuses monnaies à Vieille-Toulouse.
Toulouse à l'antiquité : Quelle est l’origine de ces richesses ?
Les auteurs grecs et latins racontent que les habitants de Tolosa sont des Celtes et qu’ils s’appellent les Tectosages (« ceux qui cherchent des biens »). Leur origine est incertaine, de même que la façon dont ce peuple serait arrivé dans le sud-ouest de la Gaule. Jusqu’au 20e siècle les historiens pensaient que les Gaulois étaient des envahisseurs de l’âge du Fer venus par vagues successives des régions danubiennes. Mais aujourd’hui les historiens font l’hypothèse d’une celtisation progressive de l’Europe ayant transformé les sociétés et l’économie plutôt que de l’arrivée brutale de peuples envahisseurs.
L’origine delphique de l’or est remise en question par certains auteurs. Les historiens actuels pensent que les richesses de Toulouse proviennent en partie des sites miniers de la région (Salsigne, dans la Montagne Noire ; mines de plomb argentifère des Pyrénées et du Rouergue) et de butins prélevés lors d’expéditions guerrières. Mais ce qui constitue avant tout les richesses du trésor de Toulouse, c’est le commerce florissant dans la région. Ce qui explique l’opulence des Tectosages est surtout la position stratégique de leur cité sur l’axe commercial entre la Méditerranée et l’Océan Atlantique.
En effet, le contexte économique était favorable. Vers 120 av. notre ère, Tolosa reçoit le statut de « cité alliée » du peuple romain ainsi qu’une garnison. Le sénat romain accordait en effet ce statut aux peuples fidèles à Rome, ce qui leur permettait de garder une relative autonomie sur leurs institutions et leur monnaie, tout en étant protégés par la garnison romaine. En échange, les Romains pouvaient bénéficier de la place stratégique de Toulouse pour faire du commerce entre la Méditerranée et l’Atlantique. Grâce aux sources archéologiques tirées des fouilles qui eurent lieu au 20e et au 21e siècle, on sait qu’à ce moment-là Tolosa était riche et prospère. Saint-Roch était un port fluvial sur la Garonne, probablement lié à l’oppidum de Vieille-Toulouse. Les Romains pouvaient ainsi transporter leurs marchandises en bateaux sur la Garonne. Les estampilles d’amphores retrouvées à Vieille-Toulouse et Saint-Roch montrent que le site était cosmopolite : les Gaulois côtoyaient des Italiens, des Grecs, des Ibères, des Aquitains, etc. On échangeait des métaux, comme l’étain de Bretagne, contre du vin et de l’huile importée d’Italie ; avec l’Aquitaine on échangeait du vin, des métaux et des matières premières.
Certaines pièces possiblement issues de ce trésor ont bien été retrouvées et sont exposées au musée Saint-Raymond de Toulouse, mais une grande partie de l’or maudit serait encore immergée et la localisation du lac (sous la basilique Saint-Sernin ? dans la commune de Vieille-Toulouse ?) est encore sujet à débat.
Plusieurs auteurs ont romancé ce sujet et écrit des fictions autour de la légende de l’or de Toulouse. Citons par exemple Michel Roquebert (Récits et légendes de l’antiquité toulousaine) ou plus récemment Cécile Lozen (L'or maudit de Tolosa) et Alexandre Léoty (L'or caché de Toulouse).
Pour aller plus loin...
Documentaires
- J.-C. et S. Carrière, Aux sources de Tolosa, Toulouse dans les textes grecs et latins, Tome 1 : Toulouse celtique et Gallo-romaine, Cahiers de la Lomagne, 2019
- J.-M. Pailler (dir.), Toulouse : naissance d’une ville, Editions midi-pyrénéennes, 2015, p. 40-52
- Musée Saint-Raymond, musée des Antiques de Toulouse, L'or de Tolosa, catalogue d’exposition, 17 octobre 2001-20 janvier 2002, Toulouse, Odyssée, 2001
- F. Cousteaux, L'or de Toulouse, [Paris] : Éd. locales de France ; [Toulouse] : "La Dépêche du Midi", 1996
Fictions
- A. Léoty, L'or caché de Toulouse, Villefranche-de-Lauragais : Les éditions du 38, 2021
- C. Lozen, L'or maudit de Tolosa, Mirebeau-sur-Bèze : Tautem éditions, 2020
- M. Roquebert, Récits et légendes de l’antiquité toulousaine, Toulouse : Loubatières, 1986